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Le Demeter 2021, pour une étude prospective de l’agriculture et de l’alimentation

par | 21 Avr 2021 | Actualités

Déméter 2021

Riche de nombreuses analyses, de repères statistiques, de cartes, d’infographies et d’entretiens avec des experts de tous horizons : le Demeter est un ouvrage unique en son genre ! Matthieu Brun, responsable des études du Club Demeter et coordinateur de l’ouvrage, nous détaille son contenu.

Pourriez-vous nous parler du Club Demeter, l’organisation à l’origine de la publication Demeter ?

Le club Demeter est un écosystème associatif du secteur agricole et agroalimentaire qui mène des réflexions de long terme, résolument tournées vers les enjeux mondiaux et les solutions innovantes. Il regroupe 71 entreprises et structures professionnelles des domaines de l‘agriculture et de l’agroalimentaire implantées en France, en Europe et à l’internationale. Le club Demeter compte également 18 écoles de l’enseignement supérieur dont ISARA, Junia ISA, et Purpan. Nous coopérons avec 3 ministères : le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le ministère des Armées par l’intermédiaire du centre d’Etudes Stratégiques de la Marine.

Nous avons la chance de rassembler des professionnels et des experts de tous horizons pour éditer chaque année le Demeter. En cette 27e année de publication, le Demeter est plus que jamais tourné vers les mondes de demain. Il propose des analyses prospectives aussi diverses que le rôle du plastique, l’usage des algues, la représentation de l’agriculture au cinéma ou encore l’usage du phosphate en agriculture sans oublier une interview du spationaute Thomas Pesquet pour en savoir plus sur l’alimentation dans l’espace. Le Demeter a une identité résolument académique et pédagogique. Il peut être lu et utilisé par des experts tout comme des étudiants en quête de réflexions géostratégiques.

Une contribution s’intitule « Défendre les sols pour nourrir le monde », c’est tout un programme !

 En effet, il a été écrit par Christian Valentin, qui est directeur émérite de l’institut de recherche pour le développement (IRD) et à l’institut d’écologie et des sciences de l’environnement (iEES) de Paris. Il est aussi membre de l’Académie d’agriculture.

Il s’interroge dans cet article sur 2 questions cruciales : y aura-t-il assez de sol fertile disponible dans le monde en 2050 pour nourrir les Hommes ? Et comment assurer une augmentation de productivité sans engendrer la dégradation de la qualité des sols ? Quand nous savons que 95% de notre alimentation est produite grâce aux sols, leur faculté de nourrir les humains est déterminante. Concrètement, pour nourrir entre 9 et 11 milliards de personnes d’ici 2050, l’ONU estime que la production agricole devrait augmenter de 40% à 54% en fonction des scénarii.

Les sols sont mis à rude épreuve. Ils subissent des altérations naturelles mais aussi dues à l’action humaine. Les dérèglements climatiques amplifient les phénomènes de l’érosion et de la désertification, tout comme la salinisation de certains sols ou bien encore l’acidification. De même, l’étalement urbain coûte cher aux terres arables qui se voient amputer des meilleures parcelles quand la ville grandit car elle se trouve le plus souvent dans une région fertile. Enfin, l’usage intensif des sols arables réduit leur biodiversité et entame l’équilibre chimique essentiel aux cultures. On estime que près de 400 millions d’hectares se sont plus propres à la production agricole aujourd’hui.

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Etant donné que l’expansion des terres agricoles sera probablement limitée, la question de la concurrence des usages devient déterminante. Il s’agit d’arbitrer entre la production de nourriture pour les Hommes, pour les animaux d’élevage, pour la production de biocarburants, de bien industriels (textile, tabac, latex), etc. Actuellement, la FAO estime que 44% des terres cultivées produisent de la nourriture directement pour les humains, 33% pour nourrir les animaux, 12% pour les usages industriels, 2% pour les semences et 5% sont considérés comme perdus après les récoltes.

L’allocation de terres à l’élevage est de plus en plus questionnée. L’élevage occupe plus des trois quarts des terres agricoles. On sait également que la production de protéines animales est plus chère en ressources : afin de fournir la même quantité de calories et de protéines, la production de viande exige 10 à 100 fois plus de surface que celle de végétaux. Ainsi, l’impact des régimes alimentaires se fait sentir sur l’utilisation des terres.

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Extrait du webinaire « les métiers du vivant pour relever les défis de demain »

La rareté et l’importance des terres arables alimentent la financiarisation et la spéculation sur les sols agricoles. Le prix a été multiplié par 6 entre 2002 et 2018 dans le monde (quand celui de la nourriture a doublé sur la même période). La pression est ainsi plus forte sur les agriculteurs et alimentent l’écart entre les petits et les grands exploitants sachant que 84 % des exploitations disposent de moins de 2 hectares pour un total de 12 % seulement des terres cultivées dans le monde.

L’enjeu est de taille : les sols doivent produire davantage sur les surfaces quasiment équivalentes. Or, Christian Valentin le résume très bien, l’intensification agricole montre ses limites. La productivité agricole a engendré la dégradation de ressources naturelles, la pollution des écosystèmes et posent des questions sur la santé humaine et animale. Nous devons produire mieux sur moins de terre tout en prenant soin des sols !  Certaines pratiques agroécologiques ont déjà montré leur efficacité pour contenir la désertisation ou inverser le processus d’appauvrissement de la biodiversité nécessaire à une bonne santé des terres. Il faudra trouver le juste équilibre entre exigences environnementales et besoins alimentaires.

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Un autre chapitre donne à voir un changement tout à fait surprenant sur la disponibilité des sols agricoles dans le monde : il s’agit de « Sibérie, futur grenier à grains du monde ? »

Dans cette analyse prospective, les auteurs, Jean-Jacques Hervé et Hervé Le Stum, se sont posé une question qui peut sembler un peu folle au premier regard mais qui est très intrigante. Jean-Jacques Hervé est membre des académies d’agriculture de France, de Russie et d’Ukraine et vice-président de la Chambre de commerce France-Ukraine. Hervé Le Stum est l’ancien directeur de l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB) et d’Intercéréales.

Les 2 auteurs partent du constat que le changement climatique implique une reconfiguration des équilibres entre les territoires à travers le monde, les terres qui étaient hier fertiles pourront ne plus l’être demain et inversement. Ainsi, en 2080, la Sibérie, aujourd’hui essentiellement impropre à la culture de céréales ou de fruits et légumes, peut-elle devenir un grenier à blé entre l’Europe et l’Asie ? Le réchauffement climatique pourrait repousser plus au nord la limite du permafrost (terre gelée, imperméable et impropre à l’agriculture qui s’étend sur l’essentiel de la Sibérie) et accroitre la pluviosité et l’ensoleillement créant ainsi des conditions favorables à l‘agriculture.

Du fait de l’augmentation de la température, entre 50% et 85% des 2,5 millions de km² de la zone sibérienne centrale devraient bénéficier d’un climat favorable à l’agriculture d’ici la fin du siècle. Certaines estimations annoncent qu’en 2080, 1 milliard de tonnes de grain pourrait être ainsi produit en Sibérie.

Les obstacles restent encore nombreux avant d’atteindre cette abondance. La recherche agronomique devra adaptée des variétés pour ces nouveaux territoires, mettre en place les exploitations agricoles, ce qui signifie faire venir les machines agricoles, les infrastructures de production, de stockage et de transports adéquates. Un accompagnement et un engagement publique seront nécessaire pour inciter les travailleurs agricoles à venir s’installer sur des terres en friche où tout sera à faire. La libération des terres de Sibérie donnera aussi probablement le signal pour l’exploitation plus intensive des ressources naturelles du sous-sol, dont la Sibérie est très riche, avant celles de l’agriculture. De même pour l’industrie du bois qui attends l’opportunité d’exploiter la forêt sibérienne afin de répondre aux demandes importantes de la Chine en matière de bois.

Un autre titre était envisagé pour cet article : « la Sibérie comme un nouveau Brésil » et cela résume bien la dualité du changement à venir en Sibérie. Le Brésil est à la fois une terre florissante, une puissance agricole et en même l’agriculture peut y être perçu comme une catastrophe environnementale, qui détruit la forêt et met en danger la biodiversité locale. Trouver l’équilibre entre l’exploitation de ces nouvelles opportunités et l’importance de ne pas ravager le milieu sera un vrai défi.

Pour aborder un autre thème actuel, l’implication de la santé animale pour la santé humaine, pouvez-vous nous en dire plus sur le chapitre « Antibiorésistance animale : santé globale en péril » de Jean-Luc Angot, président de l’Académie vétérinaire de France ?

Il se trouve que cet article a été rédigé avant la pandémie de Covid-19 mais il donne des pistes de compréhension pour saisir l’importance d’un concept clé et particulièrement actuel : le concept systémique de One Health. Il prône une approche intégrée de la santé publique, animale et environnementale à l’échelle mondiale. L’antibiorésistance, le fait que les animaux et les hommes résistent aux antibiotiques, est une menace pour la santé et la sécurité alimentaire de tous. Une consommation abusive d’antibiotiques en préventif et en curatif limite voire annule l’efficacité des antibiotiques sur certains individus, ce qui le rends vulnérable face aux bactéries.

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Le besoin de mettre en place des alternatives dans l’élevage est d’autant plus pressant que la consommation de produits animaux ne cesse d’augmenter dans le monde et les éleveurs doivent satisfaire cette demande. Il est urgent d’accompagner les changements de pratiques notamment dans l’élevage des pays émergeants qui enregistrent la plus forte croissance de production de viande et sont soumis à des normes beaucoup plus permissives que celles des Européens par exemple.

La France est particulièrement en avance sur ce sujet, notamment avec les plans EcoAntibio 1 (2012-2016) et 2 (2017-2021). Le premier fut un succès, la France a réduit de 37% sa consommation d’antibiotique dans les élevages en 5 ans. Mais ce n’est pas forcément le cas dans les pays partenaires avec lesquels nous échangeons des produits carnés, il est donc fondamental de considérer la question de l’antibiorésistance comme un problème mondial, qui appelle une solution à la même échelle. La norme internationale doit être portée activement auprès de tous les acteurs concernés. L’aspect normatif est important pour imposer une réglementation exigeante dans les pratiques d’élevage, qui peut être doublé d’une labellisation pour encourager les bonnes pratiques. Les nouvelles techniques pour tracer les produits et l’innovation en matière de qualité et de contrôle sanitaire seront aussi déterminants.

Enfin, en matière de recherche, il s’agit de bien comprendre les mécanismes de résistance et de développer des méthodes alternatives à l’usage d’antibiotiques afin de proposer les meilleures alternatives aux éleveurs. On peut mentionner la vaccination, la sélection génétique et l’exploration des microbiotes.

« France rurale : l’engouement des jeunes est-il durable ? », voilà un chapitre qui intéressera particulièrement les élèves des écoles de France Agroᶟ, dont beaucoup se destinent à devenir exploitant agricole.

Eddy Fougier, politologue chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, rappelle que le renouvellement des générations chez les agriculteurs en France est un véritable enjeu : pas d’exploitants, pas de matières premières, pas de nourriture disponible. Et les chiffres sont considérables : d’ici 10 ans, 273 000 exploitants atteindront l’âge de la retraite et pourraient ainsi céder leurs terres. Le nombre d’agriculteurs ne cesse de décroitre et ils sont de plus en plus âgés : l’âge moyens des exploitants en 2017 était de 49,3 ans. Seulement 15,6% des agriculteurs français ont moins de 40 ans. C’est encore moins dans l’Union européenne, avec une moyenne de 10,6%.

Afin de maintenir une agriculture dynamique dans notre pays, n’oublions pas que la solution se trouve dans les jeunes et les freins aux nouveaux entrants sont encore trop nombreux. La difficulté à trouver des terres, paradoxalement, car les prix sont trop élevés ou bien l’exploitation ne correspond pas au projet du jeune agriculteur qui cherche la plupart du temps un petite exploitation, quand la majorité des terres à céder sont de grandes ou de moyennes superficies. Les petites retraites agricoles poussent également les plus âgées à maintenir leur activité plutôt que de transmettre aux jeunes.

Les exploitants agricoles actuels doivent également s’habituer à voir arriver les jeunes exploitants, qui ne sont pas forcément issus du milieu agricole mais qui ont la volonté de s’investir. Un tiers des installations se font « hors cadre familial », c’est-à-dire que le nouveau venu n’appartient pas à une famille d’agriculteurs ou bien, si c’est le cas, qu’il ne reprend pas la ferme famillial. Les jeunes agriculteurs souhaitent explorer de nouvelle façon de faire, ils ont de nouvelles attentes et veulent employer des moyens différents. Souvent ils allient plusieurs activités pour compléter et diversifier leur revenu. L’agriculteur devient aussi un transformateur, un restaurateur, un commerçant de proximité : il tend de plus à plus à devenir un entrepreneur complet.  On voit des jeunes agriculteurs allier les circuits courts, la vente de produit transformé à plus forte valeur ajoutée, mais aussi le financement participatif dans l’élevage tout en participant aux circuits longs classiques.

Eddy Fougier envisage 3 scénarii pour réfléchir à l’installation des jeunes en agriculture. Le premier correspond à la situation actuelle qui est prolongée : même obstacles pour s’installer et faible appétence des jeunes pour le métier. Les 2 autres envisagent une rupture. Le 2e prévoit que la « transition agroécologique » encourage des jeunes attentifs aux enjeux écologiques à s’investir dans l’agriculture. Le dernier scénario donne à voir une jeunesse inquiète des enjeux à venir et qui préfère s’installer à la campagne dans une quête d’autonomie et de résilience.

Retrouvez le replay du dernier webinaire organisé par l’ISARA et le club Demeter : Agriculture recherche jeunes talents pour réussir les transitions

Vous pouvez retrouver le Demeter 2021 sur Cairn ICI et également le commander sur le site de l’IRIS ICI

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