Dépolluer les sols contaminés grâce aux plantes !
Les activités anthropiques (exploitations minières, industries automobiles, consommation de combustibles fossiles, stockage de déchets, activités agroalimentaires chimiques…) ont largement participé à la contamination des sols par les éléments métalliques et y contribuent toujours à ce jour dans une moindre mesure. Contrairement à certains polluants organiques, les éléments métalliques sont connus pour être persistants car généralement non-biodégradables. Ceci explique leur accumulation dans les sols au point d’engendrer des dangers environnementaux (transferts vers les nappes phréatiques, le faune, la flore) et sanitaires.
Dans le cadre de sa thèse, Théo Guérin, doctorant à JUNIA ISA Lille et en partenariat avec les entreprises l’Oréal et Florimond Desprez s’intéresse aux sols pollués des Hauts-de-France, et plus précisément au cas de l’ancien bassin minier.
En effet, étant donné leurs passés fortement industrialisés, les sols de certains villes situées dans le Nord ou le Pas-de-Calais sont considérablement contaminés. Ces deux départements comptabilisent 641 sites pollués ou potentiellement pollués d’origine industrielle, représentant ainsi 14 % des sites nationaux pollués. Les environs de Métaleurop Nord (une ancienne fonderie de plomb qui a cessé ses activités en 2003) et la fonderie de zinc Nyrstar (toujours en activité) sont particulièrement concernés. Situées au cœur de l’ancien Bassin minier et distantes l’une de l’autre d’environ 3 km, elles constituent un site étant considéré comme l’un des plus pollués de France. En effet, pendant plus d’un siècle, les activités liées à ces deux fonderies ont rejeté dans l’atmosphère des poussières en quantités considérables principalement contaminées en cadmium (Cd), plomb (Pb) et zinc (Zn). Près de 120 km² constitués de divers espaces (terrains de jeu, espaces verts, parcelles agricoles, pelouses, potagers, parcelles boisées), où vivent environ 55 000 personnes, qui ont été affectés par ces poussières métalliques. Se pose alors la question de la gestion de ces sols et de leur valorisation.
Comment pouvons-nous agir pour dépolluer nos sols ?
De nombreuses méthodes permettant la remédiation des sols contaminés ont été développées depuis quelques décennies. Parmi elles, des méthodes très onéreuses telles que la mise en décharge, le lavage de sol ou encore la vitrification ne peuvent s’appliquer pour gérer d’importantes surfaces de sols contaminés. Par opposition à ces techniques de remédiation dites « dures », des méthodes « douces » sont également apparues, dont notamment la phytoremédiation, une technique de management des sols aux moyens de plantes. Associée à l’activité des microorganismes, elle peut contribuer à l’amélioration de la qualité des sols au travers de processus divers. Ainsi, il est possible de traiter d’importantes surfaces de terres contaminées, tout en minimisant la génération de déchets liés au processus de phytoremédiation. Par ailleurs, en plus d’être acceptée par les pouvoirs publics, c’est une technologie aisée à mettre en place, peu onéreuse et qui, le cas échéant, peut être économiquement viable.
La phytoremédiation des sols contaminés par des polluants métalliques peut s’effectuer selon des phénomènes multiples, et notamment :
- La phytostabilisation : les polluants sont stabilisés et immobilisés par la plante au niveau de la zone racinaire.
- La phytoextraction : la plante accumule les polluants via le système racinaire. Soit ces polluants restent dans ce système, soit ils sont transférés dans les parties aériennes (translocation). On parle alors de phytoaccumulation.
Dans le cadre de ma thèse, je me suis principalement intéressé à la phytoextraction et la phytoaccumulation, de sorte d’extraire les polluants métalliques des sols d’études.
Lors de vos travaux de recherche, quels types de plantes avez-vous utilisé pour accumuler quels types de métaux ?
Les espèces végétales capables de se développer sur des sols contaminés par des éléments métalliques et de concentrer ces derniers au sein de leurs organes sans nécessairement altérer significativement leur croissance sont qualifiées de métallophytes. Parmi celles-ci, nous pouvons distinguer les plantes dites « hyperaccumulatrices » et les plantes dites « tolérantes ». Dans le premier cas, ces espèces végétales sont capables d’accumuler spécifiquement un ou plusieurs éléments métalliques, à raison de 50 à 500 fois plus que la moyenne mesurée pour les plantes communes non hyperaccumulatrices et ceci, sans développer de symptômes de toxicité. En revanche, ce sont très souvent des plantes endémiques, et donc très spécifiques à leur habitat naturel. De plus, elles présentent de faibles biomasses et un développement racinaire très limité. A l’inverse, les plantes dites « tolérante », bien qu’accumulant en moins grande quantité les éléments métalliques et moins spécifiquement, ont une biomasse aérienne plus importante et propice à une récolte facile. Ces plantes peuvent également s’adapter à différents types de sols et conditions climatiques, les rendant ainsi plus communes sur un vaste territoire. C’est donc vers deux espèces végétales tolérantes que j’ai choisi de me diriger, à savoir le raygrass anglais (Lolium Perenne L.) et le miscanthus (Miscanthus x giganteus).
Une fois contaminé par les métaux lourds, la plante ne constitue donc pas à son tour un déchet/matériau pollué ?
Enrichie en élément métalliques, la plante constitue un matériau contaminé qu’il convient de traiter. La voie de valorisation envisagée dans le cadre de mon sujet de thèse est l’écocatalyse. Cette filière éco-innovante consiste à, en plus d’assainir les sols grâces aux plantes, considérer ces biomasses enrichies en éléments métalliques comme de véritables sources d’élément métallique. En effet, ces derniers sont extraits des plantes sous forme d’acides de Lewis, des espèces chimiques capables de catalyser diverses transformations chimiques. Dans la littérature scientifique, ces acides de Lewis biosourcés sont appelés « écocatalyseurs » ou encore « catalyseurs biosourcés ».
Comment procédez-vous pour extraire les métaux accumulés par la plante ?
Après récolte des parties aérienne des plantes, nous les calcinons à haute température (environ 500°C). Cette étape permet d’éliminer essentiellement l’eau et la matière organique, concentrant de ce fait les éléments métalliques dans les cendres. Celles-ci sont ensuite traitées avec une solution acide (e.g. acide chlorhydrique, nitrique ou sulfurique) afin d’en extraire les éléments métalliques sous forme d’acides de Lewis. Après évaporation, nous obtenons une poudre résiduelle, qui est en fait le mélange d’acides de Lewis biosourcés et constitue l’écocatalyseur.
Cela ne pose-t-il pas problème d’utiliser des métaux lourds polluants des sols comme catalyseur pour synthétiser des molécules d’intérêt pharmaceutique ou cosmétique ?
Pour répondre à cette question, il faut revenir à la définition d’un catalyseur. C’est une espèce chimique qui permet de faciliter la réaction entre deux molécules afin de générer une troisième. En pratique, ceci se traduit généralement par une réduction du temps de réaction ou par un rendement amélioré. Par définition, en fin de réaction, le catalyseur ne prend pas part à la molécule cible et est donc séparé du produit final.
Un des intérêts de ma thèse, c’est justement d’utiliser des catalyseurs biosourcés en substitution des catalyseurs commerciaux traditionnellement utilisés.
Dans le cadre de votre thèse, quelles sont les molécules que vous concevez, dont la synthèse a été catalysée par des métaux qui polluaient les sols ?
Plusieurs transformations chimiques ont été réalisées grâces à nos catalyseurs biosourcés, et ceci afin de synthétiser différents types de molécules. Par exemple, a notamment été synthétisé la moclobémide, le principe actif d’un médicament utilisé pour traiter des épisodes d’anxiété et de dépression. Nous avons également produit une série de molécules analogues à l’urolithine, une molécule naturelle principalement issue des fruits rouges, aux propriétés anti-oxydantes et anti-vieillissement (disponible ICI). Ma thèse ayant été menée en partenariat avec le groupe l’Oréal, nous avons par ailleurs conçu une collection de molécules colorantes dérivées de la lawsone, le principal colorant présent dans les feuilles de henné.
Un dernier mot ?
C’est dans l’optique de pratiquer une chimie responsable et respectueuse de l’homme et l’environnement que j’ai décidé d’orienter mon parcours académique et professionnel. Après une licence en chimie moléculaire et un master en chimie verte, j’ai souhaité compléter mes études avec un doctorat transdisciplinaire alliant à la fois biologie végétale, chimie environnementale et chimie organique. En effet, dans un contexte de recherche académique mais surtout industrielle, la chimie verte et les biotechnologies sont actuellement des domaines en pleine croissance. L’utilisation de ressources d’origine naturelle et renouvelables ainsi que le recyclage de matériaux constituent des axes de réflexion à la fois incontournables et prometteurs.