Le microbiote, notre allié du quotidien
Le microbiote correspond à l’ensemble des micro-organismes avec lesquels nous cohabitons. Des milliards et des milliards de bactéries pour l’essentiel, mais également des virus, des champignons, des protozoaires et des levures. Il y a différents microbiotes chez l’Homme selon la surface colonisée : le microbiote cutané, le microbiote vaginal, le microbiote buccal, le microbiote respiratoire … Mais le microbiote intestinal, autrefois appelé flore intestinale, est le plus connu car aussi le plus important avec ses 1012 à 1014 micro-organismes. Il est principalement localisé dans l’intestin grêle et le colon.
Rencontre avec Sophie Yvon, chercheuse en santé digestive et nutrition à l’Ecole d’ingénieurs de Purpan qui nous en dit plus sur le sujet.
Q : pouvez vous nous expliquer comment nait le microbiote chez l’Homme ?
Ce microbiote intestinal nous accompagne dès nos premiers instants de vie. Dès la naissance, la composition du microbiote intestinal du nouveau-né va très vite être influencée selon la voie d’accouchement : colonisation par les bactéries vaginales et fécales de la mère comme Lactobacillus et Prevotella chez les nourrissons nés par voie basse et colonisation par des bactéries de la salle d’accouchement et du personnel soignant comme Enterococcus, Enterobacter ou Staphylococcus pour les nourrissons nés par césarienne. L’alimentation du bébé (lait maternel ou infantile puis diversification), la prise de médicament et son environnement auront un impact sur la composition de son microbiote intestinal qui se stabilisera vers la fin de la petite enfance. Ensuite il deviendra unique. Chaque être humain sur notre planète possède un microbiote intestinal unique, un peu comme les empreintes digitales. Je me permets toutefois une nuance : unique ne veut pas dire figé. Tout au long de notre vie, notre alimentation, nos conditions de vie, notre environnement, nos changements hormonaux (puberté, cycle menstruel, grossesse …), notre vieillissement vont avoir un impact sur l’état d’équilibre de notre microbiote intestinal. Les êtres humains évoluent tout au long de leur vie et il en va de même pour leur microbiote intestinal !
Pourquoi le microbiote est-il si important pour l’organisme ?
Notre microbiote intestinal est essentiel tout au long de notre vie. Plus les espèces de micro-organismes sont nombreuses et diversifiées, mieux c’est pour notre microbiote et notre santé.
Les bactéries vont avoir différentes fonctions selon leur espèce. Certaines jouent un rôle dans la dégradation des aliments (en effet, nos propres enzymes ne permettent pas de digérer l’intégralité des nutriments que nous ingérons : les bactéries prennent alors le relais !) tandis que d’autres produisent des neurotransmetteurs impliqués dans la communication intestin-cerveau. Certaines vont synthétiser des vitamines (vitamine K, B12 et B8), tandis que d’autres vont intervenir dans la production d’anticorps, ou encore vont jouer un rôle de barrière protectrice contre les microorganismes pathogènes. Par conséquent, ils luttent contre la colonisation des « mauvaises bactéries ». Quand le microbiote est en bonne santé, équilibré, et diversifié, on parle d’eubiose.
Que ce passe-t-il quand le microbiote est déséquilibré ?
En opposition, un microbiote fortement déséquilibré et appauvri (on parle alors de dysbiose) est associé à une multitude de troubles dans notre corps. Une multitude d’études scientifiques rigoureuses démontrent fortement et significativement le lien entre dysbiose intestinale et troubles inflammatoires intestinaux (maladie de Crohn, Rectocolite hémorragique, cancer colorectal …).
Il existe également un lien entre dysbiose intestinale et troubles métaboliques (diabète, obésité…), et neurologiques (stress, autisme et plus récemment maladie de Parkinson et Alzheimer).
Pourquoi dit-on que l’intestin est le deuxième cerveau du corps ?
L’intestin et le cerveau sont étroitement connectés. Le cerveau est en contact permanent avec le tube digestif (et inversement). Qui lui-même est en contact permanent avec le microbiote intestinal (et inversement). On parle alors de l’axe microbiote-intestin-cerveau. Même si les mécanismes ne sont pas encore clairement élucidés, on sait que le microbiote intestinal agit sur le cerveau, par les voies sanguines et/ou nerveuses via la sécrétion et libération de certaines molécules.
L’intestin, le deuxième cerveau. Source : Istock – Crédits : chombosan[/caption]La première démonstration remonte à 2004 quand une équipe japonaise montre que des animaux dépourvus de microbiote (animaux axéniques) développe une hypersensibilité au stress et à l’anxiété. De plus, des études réalisées sur des souris ont montré que le transfert du microbiote de souris anxieuses vers des souris aventureuses rendent celles-ci plus craintives, et inversement. Depuis, de nombreuses études chez l’animal puis l’Homme ont confirmé et démontrer l’influence du stress sur le microbiote intestinal et inversement.
Le lien entre autisme et microbiote a aussi fait l’objet de recherches et de nombreuses études sont actuellement en cours. En effet, les enfants atteints de troubles du spectre autistique sont 2,7 fois plus susceptibles de présenter des symptômes gastro-intestinaux que ceux sans TSA. Des études ont comparé les microbiotes d’enfants autistes à ceux d’enfants témoins et ont rapporté des différences significatives. La flore des enfants atteints d’autisme est moins variée et assez comparable d’un patient à l’autre. Cela démontre encore une fois un lien entre le microbiote intestinal et le cerveau, ce qui permet d’en savoir plus sur ce trouble et de l’approcher d’une façon différente. Et si la clé était dans l’intestin ?
Plus récemment, des scientifiques genevois et italiens ont apporté la preuve d’une corrélation entre le microbiote intestinal et l’apparition de plaques amyloïdes dans le cerveau, annonciatrice de la maladie d’Alzheimer dans une étude préliminaire qui ouvre la porte à un boulevard d’études complémentaires.
Est-il possible de ré-équilibrer le microbiote lorsqu’il y a dysbiose ? Quels sont les différents moyens ?
L’approche probiotique est répendue. On peut ingérer des bactéries vivantes, dont on connait les fonctions et dont on sait qu’elles ont un effet positif sur la santé. Au lieu de réduire la charge des bactéries délétères, comme le font les antibiotiques, on augmente la charge des bactéries bénéfiques dans l’intestin. L’usage de probiotiques peut améliorer les symptômes de pathologies intestinales mais également de stress chronique comme démontrés dans la littérature scientifique. Des probiotiques sont proposés comme compléments alimentaires sous forme de gélules, mais ils sont également présents dans l’alimentation : les laitages, la soupe miso, les cornichons, la saucisse ou les produits lacto-fermentés comme le pain au levain.
On peut également ingérer des prébiotiques. Ces derniers sont des nutriments pour notre microbiote. En choisissant le type de prébiotiques, on favorise la croissance d’un type bactérien : comme les bifidobactéries, bénéfiques pour le système immunitaire. Ils sont également disponibles en pharmacie. Il existe des aliments naturellement riches en prébiotiques : comme l’artichaut, le poireau, le topinambour, l’orge, l’avoine … Il existe aussi des symbiotiques, qui combinent les deux bénéfices : les prébiotiques et probiotiques.Ces apports sont utilisés aujourd’hui dans le but de ré-équilibrer le microbiote lorsque qu’il y a dysbiose. En revanche, dans le cas des pathologies graves, ils ne permettent malheureusement pas de guérir la maladie mais de réduire les symptômes et améliorer la qualité de vie des patients.
Un dernier mot pour conclure ?
La recherche avance. Aujourd’hui le lien entre microbiote intestinal, intestin et cerveau est incontestable. La découverte de l’impact du microbiote sur le cerveau apporte un nouveau point de vue en neurosciences fondamentales. La gastroentérologie et neurologie ne sont plus considérés comme imperméables. Aujourd’hui on parle bel et bien de neuro-gastroentérologie. Cela implique une nouvelle façon d’approcher les maladies neuro-psychiatriques et neuro-dégénératives dont la physiologie est encore mal comprise.