Variétés de blés anciens : variétés du futur ?
Le blé constitue de nos jours un composant central de l’alimentation humaine. Il existe deux types principaux de blé. Le blé dur, à cassure vitreuse et riche en protéines, est utilisé pour la fabrication des pâtes alimentaires et de semoules. Le blé tendre, à cassure farineuse, est plutôt destiné à la fabrication du pain et de biscuits. Pour chacun des deux types, de nombreuses variétés existent même si en France, seules quelques variétés de blé, très proches génétiquement les unes des autres, couvrent 80% de l’assolement annuel en blé tendre. Or, les variétés de blé ont aujourd’hui beaucoup évolué grâce à la sélection humaine mais aussi les phénomènes d’évolution naturelle. Ces évolutions permettent aux blés d’être adaptés aux nouvelles techniques de production, d’augmenter les rendements ou de résister aux herbicides ou aux maladies. Ainsi, les variétés peuvent s’adapter au climat, aux ravageurs, à la sécheresse etc. On distingue alors les variétés de blés anciens et de blés modernes.
Si aujourd’hui on parle de blé ancien, c’est bien en opposition au blé moderne. Marie-Hélène Robin et Gwenaëlle Jard, enseignantes et chercheuses à l’Ecole d’Ingénieurs de PURPAN en font l’un de leurs sujets de recherche. D’ailleurs, à partir de quand un blé est dit « ancien » ?
Il n’y a pas de définition officielle. Ce qui est appelé « variétés anciennes » par les agriculteurs correspond aux variétés sélectionnées avant les années 1950 et aujourd’hui radiées du catalogue, ou bien aux variétés qui n’y ont jamais été inscrites.
D’ailleurs, nous préférons parler de « semences paysannes » que de « variétés anciennes » car elles peuvent être très modernes si on parle de résilience par exemple. Elles sont issues de populations dynamiques reproduites par le cultivateur, au sein d’un collectif ayant un objectif d’autonomie semencière. Elles sont et ont toujours été sélectionnées et multipliées avec des méthodes non transgressives de la cellule végétale et à la portée du cultivateur final, dans les champs, les jardins, les vergers conduits en agriculture paysanne, biologique ou biodynamique. Ces semences sont renouvelées par multiplications successives en pollinisation libre et/ou en sélection massale, sans auto-fécondation forcée sur plusieurs générations. Elles montrent une grande variabilité génétique, un mélange de génotypes différents, et proviennent de plusieurs pays. Les semences paysannes, avec les savoirs et savoir-faire qui leur sont associés, sont librement échangeables dans le respect des droits d’usage définis par les collectifs qui les font vivre.
A ECOUTER : EPISODE « Les semences Paysannes » DE L’EMISSION PODCAST AGRO J’ECOUTE.
A l’inverse, les variétés dites « modernes » utilisées en filières industrielles sont principalement des lignées pures, issues des efforts les plus récents de la sélection variétale. Ces blés sélectionnés après la seconde guerre mondiale ont alors subi une sélection génétique pour obtenir des variétés à plus haut rendement : taille réduite, rachis de la plante solidifié, meilleure résistance aux maladies, grains plus gros et ne tombant plus au sol, enveloppes faciles à éliminer lors du battage, etc. Les blés « modernes » ont également été sélectionnés pour fournir une farine plus « panifiable », compatible avec la mécanisation du métier de boulanger (pétrissage raccourci et intensifié). Ces lignées ont dû respecter les épreuves de Distinction, d’Homogénéité et de Stabilité (DHS) et démontrer leur Valeur Agronomique et Technologique (VAT) pour être inscrites au catalogue des semences et plants français.
La réglementation française, bien qu’elle évolue, ne permet pas de commercialiser des semences de variétés non inscrites au catalogue, comme les variétés anciennes, ni même de les échanger, si bien que les agriculteurs les reproduisent eux-mêmes, contribuant par-là à l’adaptation continue des variétés au terroir. Bien qu’appelées « anciennes », les variétés sont donc en phase avec l’environnement actuel et plus résilientes face aux changements à venir.
Quelles sont les variétés de blés anciens ? Sont-elles si différentes d’un point de vue anatomique ?
Ce sont souvent des variétés populations, utilisées dans des chaines courtes et locales. Les variétés populations sont composées d’individus exprimant des caractères phénotypiques proches mais présentant encore une grande variabilité leur permettant d’évoluer selon les conditions de cultures et les pressions environnementales.
Pour le blé, elles sont choisies par les agriculteurs pour plusieurs raisons : elles sont hétérogènes et évolutives, ont une histoire locale et sélectionnées pour leurs capacités de tallage, leurs goûts spécifiques, leurs pailles hautes. Elles sont produites en agriculture biologique, en rotations avec des légumineuses. Nous pouvons citer les blés Poulard, le petit Epeautre ou encore les Rouge de Bordeaux.
Par exemple, le blé Poulard sur lequel nous travaillons possède des épis particulièrement larges et ventrus, prolongés de longues barbes. Sa paille est particulièrement haute et remplie, de ce fait, elle résiste mieux à la verse que certaines variétés dont la paille est tendre. Comme pour toutes les variétés paysannes, il existe une grande diversité phénotypique dans une même population. Cette caractéristique lui permet de s’adapter à de nombreuses conditions climatiques et pédologiques, il possède un caractère évolutif très important. Enfin, son faible réseau de gluten lui confère un faible potentiel de panification, et il est ainsi plus adapté à la fabrication de pates.
Quels sont les avantages à cultiver et consommer les produits issus de ces blés ?
La qualité nutritionnelle des pains et pâtes issus de blés anciens reste sujet à controverses au sein de la communauté scientifique. En effet, pour beaucoup de chercheurs il s’agit surtout de biens de croyance illustrant de nouvelles modes dans la consommation tel que le sans-gluten et l’influence de nouveaux prescripteurs. Aujourd’hui, les méthodes manquent encore pour évaluer la qualité de ces produits.
Plusieurs projets dont nous sommes partenaires essaient justement d’objectiver ces critères de qualité. Vis-à-vis des pains et pâtes, il reste en particulier difficile de bien caractériser la nature du gluten présent dans les produits et son impact sur la digestibilité, certains chercheurs étant plutôt d’avis que celle-ci est d’abord contrainte par les FODMAP (type de sucres) qui entrent également dans leur composition.
Cependant, du fait de l’utilisation de levain et d’une fermentation lente, le pain se conserve mieux, peut se manger sur plusieurs jours. Ceci permet aux paysans-boulangers et aux artisans qui utilisent ces farines de fabriquer le pain la veille ou l’avant-veille de sa vente, et non plus la nuit la précédant, ce qui contribue également à diminuer la pénibilité du travail, importante dans le métier de boulanger mais aussi de producteur-transformateur-vendeur en circuit court. L’organisation du travail est ainsi plus simple et permet de ménager du temps libre que certains utilisent alors pour « aller à des réunions le soir » (paysan-boulanger), discuter avec des collègues ou avec leurs consommateurs, participer à la vie locale, s’impliquer dans des associations.
Sur quoi se concentrent vos recherches ?
Depuis 2015, l’école d’ingénieurs de Purpan accompagne la SCIC l’Odyssée d’Engrain pour valoriser leurs produits à base de blés anciens, en réalisant plusieurs projets de recherche. L’odyssée d’engrain est un collectif d’agriculteurs et de consommateurs qui redonnent vie à de vieilles variétés de blés pour fabriquer des pâtes sèches. L’objectif de ces études est d’apporter des connaissances nouvelles sur les propriétés sanitaires, nutritionnelles et technologiques du blé Poulard et des pâtes de l’Odyssée d’engrain, en vue d’améliorer leurs productions, leurs recettes et leur communication, afin de proposer des produits plus qualitatifs.
Ainsi, à travers nos travaux de recherche, nous accompagnons la SCIC l’Odyssée d’Engrain pour améliorer la qualité de leurs produits sur plusieurs volets :
- Un volet agronomique et sanitaire : Il s’agit ici de suivre les agriculteurs de cette SCIC, évaluer et donner des préconisations pour améliorer la qualité sanitaire, notamment sur les risques de fusariose, maladie fongique à l’origine de contaminations en mycotoxines, de leurs blés et de leurs produits finis. Un diagnostic de leurs pratiques de productions, de stockage et de transformation a ainsi été effectué afin de proposer des itinéraires moins à risque.
- Un volet nutritionnel : Nous avons développé une méthode d’analyse permettant de déterminer les profils protéiques des blés et la taille des protéines impliquées dans la formation du réseau de gluten (méthode de fractionnement par flux force)
- Un volet sensoriel : Nous identifions les indicateurs pertinents de qualité sensorielle des produits.
Ces recherches sont possibles grâce à plusieurs financeurs (Fondation de France, région Occitanie), plusieurs partenaires académiques tel que INRAE (Innovations, Iate, MycSA), ENSMIC (école de meunerie), ITAB ; et enfin, plusieurs groupements de producteurs (GAB65, Biocivam 11…).