logo ISA Lille
logo PURPAN

Cultiver du muscle in vitro pour produire de la viande : une alternative prometteuse aux produits carnés ?

par | 15 Avr 2021 | Actualités

viande artificielle - in vitro - Sghaier Chriki

Véritable révolution dans nos assiettes ? Attente éthique du consommateur ? Secteur porteur de l’industrie ? Ou curiosité vouée à rester anecdotique ? Ce qu’on appelle abusivement « viande in vitro » ne cesse de susciter le débat, notamment depuis qu’un restaurant à Singapour a été autorisé à mettre de la viande (nuggets) in vitro à la carte en décembre 2020. Sghaier CHRIKI, docteur en sciences des aliments et enseignant-chercheur en zootechnie à l’ISARA, nous en dit plus.

Qu’est-ce que la viande in vitro ?

Le principe est de prélever un faible nombre de cellules par biopsie sur un animal vivant. Ces cellules se multiplient un très grand nombre de fois en laboratoire à température physiologique produisant ainsi de grandes quantités de fibres musculaires. Cette prolifération se réalise dans un milieu de culture riche en nutriments, mais contenant aussi des hormones et des facteurs de croissance, nécessaires à la prolifération des cellules musculaires. Il s’agit en réalité d’un amas de fibres musculaires qui a plus l’apparence d’un carpaccio que d’une entrecôte !

En effet, un muscle animal est un assemblage complexe de plusieurs types cellulaires : fibres musculaires, cellules nerveuses, sanguines, adipeuses et conjonctives (produisant du collagène). C’est cette complexité qui lui confère ses propriétés nutritionnelles (apport en fer, zinc, sélénium, vitamine B12). Dans l’attente d’études complémentaires, et en dépit de la volonté des promoteurs de ce nouveau produit d’optimiser sa composition via son milieu de culture, il sera difficile de reproduire la complexité du muscle et donc de retrouver les propriétés sensorielles, mais aussi la valeur nutritionnelle de la viande (en particulier pour l’apport en fer). Actuellement, elle doit être assortie de nombreux ingrédients pour se rapprocher du goût de la viande classique.

Pourquoi génère-t-elle autant d’intérêt parmi les professionnels et les consommateurs ? 

La « viande » in vitro est présentée par ses partisans comme une solution pour résoudre les problèmes de sécurité alimentaire et nourrir une population croissante qui avoisinera les 10 milliards à l’horizon de 2050. Cette technologie bénéficie d’une visibilité forte à l’heure où les élevages destinés à la production de viande sont de toute part remis en cause sur des questions aussi bien environnementales qu’éthiques. Ainsi, selon ses promoteurs, la « viande » in vitro pourrait fournir des protéines animales qui respecteraient le bien-être des animaux et celui de la planète, cette technologie étant supposée avoir moins d’impacts sur l’environnement que l’élevage traditionnel.

Il est admis que le bétail contribue de manière significative aux GES avec 14,5 % des émissions totales. Plus précisément, 60 % de ces GES sont liés aux ruminants, notamment aux bovins et buffles. Parmi ces GES, le méthane entérique, dû principalement aux éructations des ruminants, représente à lui seul 40 % des émissions ! C’est ainsi que la limitation des émissions de méthane présenterait l’avantage le plus important de la « viande » artificielle, car le pouvoir réchauffant du méthane est supérieur à celui du CO2.

élevage conventionnel

Pouvez-vous nous en dire plus sur le caractère environnemental de la viande in vitro ?

Sur le plan environnemental, il est difficile d’évaluer l’impact global de ce procédé, encore expérimental, non standardisé, et pratiqué à petite échelle. De rares études ont été menées pour estimer cet impact environnemental et elles n’arrivent pas aux mêmes résultats. Cependant, plusieurs études convergent vers l’analyse suivante : la production de « viande » in vitro consomme plus d’énergie que la production de volailles ou de porcs telle que pratiquée aujourd’hui. Cela est dû principalement à la fabrication des milieux de culture et au chauffage des incubateurs. À l’inverse, la production in vitro a un pouvoir réchauffant global inférieur à celui de la production de viande de bœuf, essentiellement du fait de l’émission de méthane par les ruminants. De plus, l’élevage traditionnel produit essentiellement du méthane, un puissant gaz à effet de serre dont l’impact est essentiellement à court terme. Or, le muscle cultivé va davantage générer du CO2 plus persistant dans l’atmosphère à long terme.

Ainsi le caractère « écoresponsable » de ce nouveau produit est impossible à déterminer pour le moment. Il est difficile d’extrapoler pour déterminer la consommation d’énergie nécessaire à la production à grande échelle de la « viande » in vitro. Il n’y a pas de consensus scientifique sur cette question. À l’inverse, le fait que la production de « viande » in vitro libère des surfaces préalablement destinées à l’alimentation animale reste une réalité même si ce n’est pas forcément un avantage. En effet, il est important de préciser que l’élevage ne se limite pas à la fourniture d’aliments. Il rend aussi de nombreux services notamment environnementaux, tels que l’entretien des paysages ou le maintien de la biodiversité végétale et animale dans les prairies, ou encore sociaux avec le maintien d’une population rurale dans des territoires délaissés par les consommateurs de nos jours majoritairement urbains.

La « viande » in vitro permettrait surtout d’éviter des souffrances aux animaux d’élevage ?

En termes de bien-être animal, la production de « viande » in vitro devrait considérablement réduire le nombre d’animaux abattus en comparaison à la viande traditionnelle. En revanche, son développement par des entreprises high-tech multinationales fragiliserait l’équilibre de vie actuel entre les animaux d’élevage et l’être humain, et de ce fait la vie rurale. De plus, la survie économique et alimentaire des petits éleveurs et de leur famille serait également remise en question dans bon nombre de pays, notamment en développement. Sur le plan sanitaire se pose la question de l’utilisation des antibiotiques qui sont fortement décriés en élevage conventionnel en raison des risques accrus de résistances, mais qui peuvent être utilisés en laboratoire en cas de contamination accidentelle.

À lire aussi : Chez les animaux aussi, les antibiotiques ne sont pas automatiques !

antibiotique et hormone utilisés en élevage

De même, certains procédés de production de viande in vitro impliquent l’utilisation d’hormones, qui sont actuellement interdites en Europe pour la production de viande destinée à la consommation humaine. De plus, cela représente un enjeu majeur de réglementation, car sur le plan juridique, la viande in vitro ne correspond pas pour l’instant à la définition de la viande dans le règlement d’étiquetage européen. L’évolution de la réglementation est en grande partie dépendante de l’acceptation potentielle des consommateurs, qui reste à démontrer et qui est un sujet complexe abordé par les sciences sociales.

Ce produit peut-il séduire les consommateurs ?

Faisant actuellement l’objet d’un nouveau champ d’investigation par les chercheurs, l’acceptation par les consommateurs est, selon les partisans de cette technologie, susceptible de s’accroitre au fur et à mesure que les consommateurs seront devenus familiers avec le concept de la « viande » in vitro. Les consommateurs seront de plus en plus familiers et rassurés au fur et à mesure de la démocratisation du produit. La question du coût fera aussi la différence. Pour le moment, la « viande » in vitro reste particulièrement chère pour le consommateur moyen. Le premier steak in vitro fut proposé en 2013 pour la modique somme de 250 000 euros pour 140 g ! Depuis les prix baissent, mais ils restent élevés : 46 euros environ pour une lamelle de 5 mm d’épaisseur.

Mais le succès de la viande in vitro ne passe pas uniquement par le prix. J’ai mené avec une équipe de chercheurs une enquête dans plusieurs pays (ici l’ enquête en anglais) pour en savoir plus sur l’acceptabilité face à ce produit.

Quels sont les résultats en France ?

« Parmi les sondés, 42% à 67%, suivant les groupes sociologiques, considèrent que la « viande » in vitro est une idée « absurde et/ou dégoutante », 27% en moyenne la trouvent plutôt « intrigante et/ou amusante », contre 19% des répondants qui la considèrent comme une idée « prometteuse et/ou réalisable ». Les sondés ne sont pas prêts en grande majorité (92%) à acheter la « viande » in vitro à un prix plus élevé que celui de la viande conventionnelle, dont seulement 26% se sentant prêts à la payer au même prix.

On distingue les sondés qui ne connaissent pas la « viande in vitro », les 18-30 ans et les femmes dans un groupe qui se montre plus favorable à l’égard de cette biotechnologie en raison d’une plus grande sensibilité aux questions d’ordre éthique ou environnemental liées à l’élevage. Alors que les hommes de plus de 51 ans sont en moyenne plus réticents. Sans grande surprise, les professionnels de la viande y sont en général fermement opposés. En résumé, d’après cette enquête, le marché de la viande in vitro représenterait au mieux un marché de niche s’adressant environ à un cinquième des Français alors qu’un autre cinquième des sondés estime que la « viande » in vitro n’a aucun avenir ».

En guise de conclusion et de perspectives, les recherches scientifiques montrent que la production de viande in vitro ne présente pas à ce jour d’avantages majeurs en termes économiques, nutritionnels, sensoriels, environnementaux, éthiques ou sociaux par rapport à la viande issue d’élevage.

À l’inverse, il existe d’autres voies plus faciles à mettre en œuvre pour réduire la consommation de viande traditionnelle. On peut diversifier les sources de protéines végétales et animales, réduire le gaspillage alimentaire, ou encore continuer à faire évoluer les pratiques d’élevage vers des systèmes plus agroécologiques. Ces pistes sont immédiatement applicables pour assurer la sécurité alimentaire de notre planète tout en respectant l’environnement et les animaux.

À lire aussi : Présentation de l’ouvrage : « L’élevage pour l’agroécologie et une alimentation durable »

Share This