Les labels alimentaires, un enjeu de poids pour conquérir le cœur des consommateurs
En France et en Europe, des labels permettent de reconnaître des produits alimentaires en fonction de leurs conditions de production et de leur origine. Julien Frayssignes nous explique comment la bataille fait rage entre les producteurs pour séduire un consommateur toujours plus exigeant. 35 milliards d’euros de chiffre d’affaires sont en jeu sur le marché des produits labellisés.
La Géographie dans une école d’ingénieurs : à quoi ça sert ?
Ça peut paraître surprenant mais la géographie dans l’enseignement supérieur, ce n’est pas la même chose qu’au lycée, même si ça a beaucoup évolué. On n’est pas là pour apprendre par cœur le nom des départements ! Il y a toujours eu des sciences sociales dans les écoles d’ingénieur : le marketing, pour étudier les attentes des consommateurs, le droit, la gestion, ou encore la sociologie, qui s’intéresse aux changements des pratiques agricoles ou aux organisations collectives. À ce titre, la géographie est une science sociale à part entière. Si je devais la définir simplement, je dirais que c’est la science des territoires. Etymologiquement, le mot géographie désigne en grec « l’écriture de la Terre ». Donc, la géographie étudie le rapport des sociétés humaines à l’espace, comment elles l’exploitent, comment elles sont influencées par lui.
À Purpan comme dans les autres écoles de France Agroᶟ, l’agriculture et l’agroalimentaire ne se font pas hors-sol, mais dans des territoires, avec des ressources à exploiter et à préserver. C’est là que les géographes ont leur rôle à jouer. Ils peuvent agir sur le développement durable de l’agriculture, la stratégie des coopératives, l’identification d’un produit en fonction de son terroir etc. Tous ces enjeux ont une dimension territoriale.
Julien Frayssignes, vous travaillez sur les labels alimentaires, pourriez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?
En France, on peut dire qu’on est les rois des labels ! Ils ont été créer et démocratiser en France avant de s’exporter partout dans le monde. Les appellations d’origine sont nées au début du XXe siècle, ils permettent d’identifier un produit en fonction de ses caractéristiques territoriales : le sol, le climat, les savoir-faire locaux. L’objectif est de protéger les produits contre des imitations ou des contrefaçons jugées déloyales. Cette protection s’est étendue au marché européen en 1992 avec la création des AOP (Appellation d’Origine Protégée) et des IGP (Indications Géographiques Protégées). Cette politique a été très largement inspirée de la France et suivie par les pays méditerranéens. Les pays anglosaxons sont moins favorables à cette pratique, ils ont une approche beaucoup plus « hygiéniste » de la qualité alimentaire. Néanmoins l’Europe est aujourd’hui à la pointe de la protection de ce qu’on appelle les Indications Géographiques à l’échelle internationale. La France coopère avec de très nombreux pays partout sur la planète, même en Chine, pour mettre en place des politiques de protection des produits.
Aujourd’hui, on considère toujours que ce sont des marchés de niche, mais le poids de ces labels officiels n’est pas que symbolique : c’est plus d’un tiers des exploitations françaises qui sont engagées dans au moins une démarche AOP, IGP ou label rouge et environ 11 % en bio. Tous les labels confondus représentent 35 milliards d’euros de chiffre d’affaires : c’est un peu plus de 10 % de l’activité agricole et agroalimentaire française cumulée (source : INAO, 2021).
Comment distinguer les labels entre eux ?
C’est vrai, les professionnels ont l’habitude de dire pour plaisanter qu’en France, il sort un nouveau label chaque jour ! Les journalistes publient régulièrement des articles qui essaient de montrer comment s’y retrouver dans cette jungle où tous les labels ne se valent pas ! En théorie, les labels servent à certifier, à garantir une ou plusieurs caractéristiques d’un produit alimentaire. Ce sont des promesses faites aux consommateurs. Par exemple, le bio garantit que le produit a été fabriqué sans produit de synthèse. Le label rouge certifie une qualité supérieure par rapport à des produits standards similaires, notamment au niveau organoleptique (qui affecte les organes des sens), grâce à des tests régulier de dégustation. Là où cela se complique, c’est que ces promesses peuvent se cumuler ! Un produit peut être certifié à la fois label rouge, IGP (Indications Géographiques Protégées) et bio.
Pour tenter d’y mettre un peu d’ordre, on peut déjà distinguer les labels officiels, qu’on appelle les « SIQO », les Signes d’Identification de la Qualité et de l’Origine. Ce sont les labels dont on a déjà parlé, reconnus et gérés par l’État : les AOP et IGP, le label rouge, le certifié biologique. On peut ajouter les mentions valorisantes, aussi reconnues par l’État : les mentions « produit de montagne » et « produit fermier » ou la certification environnementale des exploitations agricoles et son logo « HVE », pour Haute Valeur Environnementale.
Historiquement, ces labels publics ont toujours cohabité avec des certifications privées qui sont concurrentes. Ces certifications sont portées par des acteurs de nature très différente. On peut citer quelques exemples : la grande distribution (Nos Régions Ont du Talent, Filière Qualité Carrefour), les industriels privés (Charte Lu Harmony) ou bien encore des collectifs comme Bleu Blanc Cœur ou Zéro Résidu de Pesticides. À cela, on peut ajouter les normes internationales comme l’ISO 26000 pour la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), qui propose des critères liés au trois piliers du développement durable : économiques, sociaux et environnementaux. Enfin, à l’échelle locale, on pourrait aussi parler des collectivités territoriales, qui portent des démarches comme « Fabriqué en Bretagne » ou « Sud de France ». Comme toulousain, on peut être fier que l’Occitanie soit la région européenne où l’on trouve le plus de produits sous labels !
C’est bien normal que les consommateurs soient totalement perdus, d’autant que les entreprises jouent sur tous les tableaux. Les grandes coopératives agricoles peuvent cumuler jusqu’à 10 ou 12 certifications ! Cette multiplication tient notamment aux nouvelles exigences des consommateurs qu’il faut satisfaire : respect de l’environnement, du bien-être animal, des conditions de travail des producteurs.
Comment étudier cette diversité ?
C’est pour tenter d’y voir plus clair que les écoles d’ingénieurs d’agronomie de la Région Occitanie (ENSAT et Montpellier SupAgro) et l’IRQUALIM (Institut de la Qualité Agroalimentaire Occitanie) ont créé une chaire d’enseignement et de recherche dédié à toutes les démarches de certification. Elle a été baptisée « In’FAAQT » (Innover dans les Filières Agricoles et Agroalimentaires, la Qualité et les Territoires). Cette chaire permet de mettre en place des actions de recherche (études, expertises), mais aussi des actions pédagogiques (cours, stages, projets tuteurés) pour le compte d’entreprises, de syndicats de produits et de collectivités (dont la Région Occitanie). Nous travaillons sur différents axes : les attentes des consommateurs, le partage de valeur ajoutée, le renouvellement des générations, la durabilité. Nous avons déjà publié quelques résultats sur l’impact du COVID et la perception des labels par les influenceurs sur les réseaux sociaux.
Un mot pour conclure ?
Dire que l’agriculture a beaucoup changé, c’est un euphémisme ! Aujourd’hui, on parle beaucoup de circuits courts, de retour au local, et encore plus depuis la pandémie. Moi je pense que même si c’est important et passionnant, il ne faut pas pour autant oublier les filières longues, qui représentent encore aujourd’hui la majorité de l’activité. Et même si les circuits courts se sont fortement développés depuis le premier confinement, ce sont quand même les filières longues et la grande distribution qui assurent la majorité de l’approvisionnement. Bien entendu, tout n’est pas parfait dans ces filières et le rôle des ingénieurs est d’accompagner cette transition alimentaire et les labels jouent un rôle crucial.
Julien Frayssignes est enseignant-chercheur en Géographie à l’Ecole d’Ingénieurs de Purpan dans le laboratoire LISST-Dynamiques Rurales. Il est docteur en Géographie (Université Jean Jaurès & Institut National Polytechnique de Toulouse). Il travaille sur le développement des territoires ruraux et sur les dynamiques d’ancrage et de relocalisation des activités agricoles et agroalimentaires, en particulier au travers des démarches de qualification portées par les filières (signes officiels, démarches privées).